ANTONIN VARENNE : CAT 215. TOUJOURS PLUS LOIN, TOUJOURS PLUS FOU.
Le format change tout comme la région, mais la qualité reste la même avec Cat 215 très court et intense roman d’Antonin Varenne publié au sein de la collection Territori de la Manufacture de Livres en s’éloignant des régions rurales de la métropole afin de s’engouffrer dans le sillon d'une pelleteuse mécanique se frayant un chemin à travers l’épaisse jungle de la Guyane.
Marc, mécano sans le sou, avec une famille à nourrir, n’hésite pas bien longtemps à l’attrait de l'offre d’un ancien associé véreux qui lui propose de retourner en Guyane pour réparer une pelleteuse Caterpillar, modèle Cat 215, tombée en rade en pleine jungle. Moteur à changer pour que l’engin puisse être acheminé, à l’insu des autorités, vers un camp d’orpaillage permettant d’accélérer l’extraction du métal précieux. Au bout d’une piste chaotique, Marc rejoint la machine immobile et l’équipe chargée de la convoyer, composée d’un ancien légionnaire parano et d’un guide brésilien mutique. Dans cette jungle équatoriale, les tensions sont palpables et la violence menace d’éclater à tout instant. Une simple question de temps.
A peine six pages pour poser le contexte et nous faire passer des frimât d’un hiver campagnard à la moiteur étouffante d’une jungle. On mesure ainsi tout le talent d’Antonin Varenne capable de nous faire basculer en quelques mots d’un univers à un autre et de distiller ensuite, tout au long d’un texte captivant, un climat et une ambiance oppressante qui sont finalement les moteurs essentiels de cette intrigue. Un livre de sensation et d’impression dans lequel on perçoit les bruits et les odeurs de cette forêt équatoriale où les hommes s’égarent dans un mélange de folie et de convoitise. Comme absorbés par la jungle, ils retournent peu à peu à l’état sauvage tandis que cette pelleteuse mécanique incarne l’ultime vestige d’une civilisation vouée à disparaître.
Ainsi, dans cette forêt luxuriante, les arbres deviennent des murailles infranchissables et l’immensité de la jungle se transforme en une cage exiguë où gravitent désormais Marc le mécano, Joseph le légionnaire et le guide Alfonso. Dans ce décor aussi mystérieux qu’étouffant, la tension s’installe comme une fièvre sournoise et s’empare de la raison des trois hommes accablés par la chaleur et l’humidité pour nous laisser pantois au seuil d’une folie dont le paroxysme et la conclusion seront à la charge de l’imagination du lecteur permettant de prolonger durablement l’intensité de ce roman percutant.
Cat 215, c’est un roman sec et tranchant comme la lame affûtée d’une machette.
Antonin Varenne : Cat 215. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2016.
A lire en écoutant : Eldorado de Bernard Lavilliers. Album : Nuit d’Amour. Barclay 1981.


Cyril Herry et Pierre Fourniaud. Retenez bien ces deux noms car ces éditeurs possèdent le rare talent de concentrer dans leur nouvelle collection Territori, issue des éditions Ecorce et de la Manufacture de Livres, une palette d’auteurs exceptionnels comme Séverine Chevalier avec Clouer l’Ouest, ou Frank Bouysse avec Grossir le Ciel. Désormais il faut également compter avec Crocs de Patrick K Dewdney. Bien plus qu’un simple courant de type Nature Writing, Territori s’inscrit dans une volonté de mettre en lumière un artisanat de l’écriture finement ciselée d’où émane des textes d’une singulière puissance.
Avec Grossir le Ciel, Franck Bouysse restitue l’ambiance moribonde de ce monde terrien en déshérence que Raymond Depardon capta si bien tout au long de sa trilogie de Profils Paysans. D’ailleurs l’auteur rend un hommage appuyé au photographe documentariste qui semble avoir photographié la mémé de Gus. Frank Bouysse nous livre un texte évocateur d’une sobre puissance, tout en retenue à l’image de ces forçats de la terre qui hantent ces paysages silencieux des Cévennes. Dans ce monde en voie de disparition où la relève brille par son absence, il y a cette mort lente et silencieuse, presque sous-jacente qui ponctue les pensées de ces protagonistes vieillissants qui ne savent plus que faire de cette terre si précieuse que les anciens leur ont confiés. Au détour de chacune des pages, on peut percevoir l’odeur forte du bétail, de l’humus et du fourrage, le parfum glacé de la neige et les effluves acides de la peur et des regrets. Gus et Abel sont des hommes en fin de course, broyés par le rythme inusable des saisons qui s’enchaînent. Mais outre le fait de dépeindre un univers avec une belle justesse, Franck Bouysse, installe au fil du récit une tension qui s’accentue de pages en pages sans que l’on ne puisse deviner où tout cela va nous mener. Un final onirique plonge définitivement le lecteur dans ces paysages de neige et de roches parsemés de forêts tout aussi silencieuses que les protagonistes qui parcourent l’histoire.